Le revendicateur

Je vais m’attarder sur un profil très particulier de personnes, celles qui ont le chic pour réclamer et revendiquer toutes sortes de choses, sans arrêt et quelles que soient les circonstances.

Nous avons tous rencontré ce genre de personnes un jour ou l’autre. Alors que vous mettez en place le design logiciel d’une nouvelle application, un de vos développeurs va prendre une heure pour vous expliquer à quel point il est important que tout le monde utilise les mêmes outils de développement que lui, par soucis de cohésion. Ou pendant que vous réfléchissez à une plate-forme serveur, l’architecte logiciel va réclamer à cors et à cris l’utilisation de tel ou tel module, même s’il sait qu’ils n’ont pas été validés pour une utilisation en production. Ou alors, votre supérieur tente de mettre en place une mauvaise méthode de travail parce qu’il n’en connaît pas d’autre. Cela pourrait même être un stagiaire qui revendique le droit d’utiliser une partie de son temps de travail pour travailler sur des projets scolaires.

La première chose à comprendre, c’est que ces personnes ne viennent pas vous casser les pieds pour le plaisir (même si parfois ça y ressemble fortement). Intrinsèquement, les revendicateurs sont des angoissés. Ils n’ont pas trouvé d’autre moyen de diminuer leur anxiété qu’en la partageant avec les autres ; et malheureusement pour vous, ils sont tellement submergés par ces préoccupations qu’ils ne trouvent pas la bonne manière de formuler les choses. Au final, ils tentent d’imposer leurs vues, alors que ce dont ils ont besoin, c’est d’être rassurés quant au fait que leurs problèmes sont connus et pris en compte.

Je distingue quand même deux types de revendicateurs : ceux qui sont de bonne foi, et les égoïstes primaires.

Ce qu’il ne faut pas faire

La réaction naturelle face à un collaborateur qui vous harcèle de la sorte, c’est de l’ignorer. Mais en faisant cela, vous risquez surtout de le voir revenir à la charge, encore plus souvent et de manière encore plus véhémente. Si vous insistez dans cette démarche, vous allez au-devant de gros problèmes : un revendicateur n’accepte pas d’avoir une porte fermée devant lui, il l’enfonce. Certains d’ailleurs finissent par y prendre plaisir et cherchent inconsciemment de nouvelles portes à défoncer.

Encore pire que cela, vous pourriez être tellement agacé que vous en perdriez patience et vous emporterez. Pas bon non plus. Les revendicateurs ne sont pas idiots. Si vous perdez le contrôle, il s’en servira contre vous. N’essayez pas de lui prouver à tout prix qu’il a tort, il se mettra en mode « conflit » et prendra toutes les remarques comme des attaques personnelles ; vous serez face à un mur qui ne voudra plus rien écouter.

Les revendicateurs honnêtes

La plupart des revendicateurs pensent agir dans le bien du projet ou de l’entreprise. Ils sont persuadés d’avoir une meilleure vision que les autres (au moins sur certains points précis), et cherchent à s’assurer que leurs idées sont reconnues à leur juste valeur. Et si leurs idées sont reconnues, elles devraient être suivies, non ?

C’est ainsi que des recommandations peuvent se transformer en revendications. Si vous ne semblez pas attacher suffisamment d’importance (à leurs yeux) à leurs idées, ils reviendront vous en parler parce que vous avez manifestement besoin qu’on vous ouvre les yeux. Ce n’est pas de la méchanceté, mais un zèle un peu exagéré.

Quel comportement adopter ? Pour commencer, vous devez écouter – comme toujours – les idées que vos collègues peuvent avoir. Certaines idées seront bonnes, d’autres ne seront pas exploitables directement mais pourraient offrir des perspectives intéressantes ; enfin, certaines idées seront carrément farfelues. Mais dans tous les cas il est important de les prendre en compte.

  • Ce n’est pas parce qu’une personne vous a déjà donné cinquante mauvaises idées que la cinquante-et-unième ne sera pas bonne.
  • Gérer les frustrations et les revendications est une telle perte de temps et d’énergie qu’il vaut mieux soigner le mal à la racine.

Lorsqu’une idée ne vous semble pas bonne, prenez le temps d’expliquer pourquoi vous êtes arrivé à cette conclusion. Si vous vous contentez de refuser la proposition, sans dire pourquoi, cela revient au même que d’ignorer le revendicateur. La plupart du temps, un revendicateur arrête son harcèlement à partir du moment où on lui explique qu’on a bien écouté sa proposition, et qu’on lui explique précisément pourquoi elle a été refusée. Idéalement, vous trouverez même un point positif dans ses idées, aussi minime soit-il, et pourrez en faire un axe de travail dans le futur.

Les égoïstes

Le deuxième type de revendicateurs est bien plus désagréable. Ce sont ceux qui n’oeuvrent pas pour le bien du projet ou de l’entreprise, mais pour leur propre confort personnel. Cela peut prendre de multiples formes, avec des degrés de gravité pour ou moins importants. Dans tous les cas, vous devrez composer avec une mauvaise foi patente, et ça ne sera ni facile, ni agréable.

Pour commencer, tentez de comprendre l’angoisse initiale de votre interlocuteur. Pour quelle raison cachée s’est-il mis en tête d’imposer ses vues ? En simplifiant, cela peut être :

  • L’ignorance et la paresse. Il ne sait pas utiliser d’autres outils que ceux auxquels il est habitué ; il n’a pas l’expérience suffisante pour comprendre pourquoi certaines règles ont été choisies ; il ne veut pas se donner la peine d’apprendre une autre manière de faire. Dans ce cas, il sait – peut-être sans se l’avouer – que le problème vient de lui, et il cherche à se donner bonne conscience en présentant ses faiblesses comme un ensemble de bonnes pratiques ; si tout le monde y adhère, plus personne n’y verra la moindre faiblesse.
  • L’expertise. Peut-être n’y avez-vous pas songé, parce que cette personne est tout le temps en train de vous casser les pieds pour un oui ou pour un non. Mais si ça se trouve, elle est en train de se battre pour une idée à laquelle elle croit, parce que c’est effectivement une très bonne idée. Au-delà du fait que le revendicateur pense que son idée est LA bonne, il y a peut-être une possibilité pour que vous puissiez vous en inspirer d’une manière ou d’une autre.

Cette dernière situation est assez énervante. Quand on a pris l’habitude de refuser toutes les idées de quelqu’un, parce qu’elles sont systématiquement mauvaises, on a du mal à reconnaître ouvertement qu’une de ces idées vaut la peine de s’y attarder. Que dire ? C’est humain de réagir ainsi, mais c’est inutile. Il n’est pas question de fierté personnelle, mais de faire son boulot dans les meilleures conditions possible.

Le gros problème, c’est lorsqu’il faut travailler contre l’ignorance et la paresse, car ce sont des moteurs forts. Là, encore plus que dans les autres cas, il faut faire preuve de patience et de doigté. Prenez le temps d’expliquer le « pourquoi », et surtout formez les gens sur le « comment ». On néglige trop souvent les formations, qui sont nécessaires pour qu’un outil/méthode/procédure/… soit accepté et utilisé.
Pensez aussi qu’en faisant découvrir de nouvelles choses, dans de bonnes conditions, à votre revendicateur, vous entretiendrez son intérêt et sa motivation. Et il revendiquera moins.

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