Si les informaticiens étaient des sportifs ou des musiciens

Il y a quelques temps, l’un de mes développeurs me racontait avoir lu une chose sur le web. Le but étant de faire la promotion de la R&D, ça faisait un parallèle avec les joueurs de foot en disant qu’entre deux matchs, les joueurs ont des entraînements ; aucune équipe ne demande aux joueurs de s’entraîner tout seul dans leur coin, pour ensuite être efficace aux matchs.

Je trouvais cette comparaison intéressante, mais quand même très biaisée. Cela pour deux raisons : Pour commencer, le rapport temporel entre le temps passé à jouer « pour de vrai » (les matchs) et celui passé à s’entraîner est très particulier ; les matchs ne représentent au final qu’une durée minoritaire du temps de travail des joueurs de football. Ensuite, cette comparaison ne prend pas en compte un aspect qui me semble important ; si un joueur de foot ne touche un ballon que pendant les entraînement et les matchs, mais jamais en dehors, il y a peu de chance que ce soit un grand joueur.

J’ai donc réfléchi à une autre comparaison, avec les musiciens (j’ai déjà parlé de musique sur ce blog). On retrouve un peu les mêmes choses ; les musiciens font des répétitions et des concerts. Habituellement, on passe plus de temps à répéter que sur scène ; mais quand un groupe commence à marcher un peu, il se retrouve à jouer en concert tous les week-ends. Et quand on joue sur scène tous les week-ends, il n’y a plus trop besoin de répéter (sauf pour mettre en place les nouveaux morceaux).

Donc on voit bien que les choses dépendent du temps consacré à chaque étape. Imaginons que des footballeurs jouent des matchs tous les soirs ; auraient-ils toujours besoin d’entraînement ? Sûrement que oui, mais ils seraient de plus courte durée.
Poussons encore plus loin : Si les footballeurs jouaient 4 heures de match par jour (en imaginant que ce soit faisable physiquement), est-ce que l’entraînement ne serait pas réduit à un simple échauffement ?

Revenons sur les musiciens. Même en donnant un concert toutes les semaines, et donc en réduisant la fréquence des répétitions, on imagine bien que les grands musiciens continuent à jouer de leur instrument pendant leurs temps libre, que ce soit par passion, pour travailler la pratique de l’instrument, ou pour composer.

Si on ramène tout ça au métier d’informaticien, qu’est-ce que ça nous dit ?

Pour commencer, il ne faut pas confondre veille technologique et développement : c’est à ça que sert la R&D. Un informaticien qui ne se tient pas informé, qui n’expérimente pas dans son coin, c’est un peu comme un musicien qui ne pratique jamais son instrument en dehors des concerts ; il finit par être rouillé, son imagination s’assèche, sa capacité à répondre de manière originale aux problèmes rencontrés s’amenuise ; il n’est plus capable que d’appliquer les recettes qu’il a déjà employées auparavant.

Tiens, cette dernière phrase me fait penser à une autre analogie, celle des cuisiniers (là aussi, je me suis déjà un peu aventuré sur ce terrain). L’image de la recette est bonne. Les grands cuisiniers passent du temps dans leurs laboratoires à créer de nouvelles saveurs, de nouvelles combinaisons. Mais est-ce qu’ils s’arrêtent pour autant quand ils sortent de leur restaurant ? Je ne pense pas. Comme toute passion, ça doit occuper une place dans leur cerveau tout le temps.
Fermons cette parenthèse.

Donc, quel doit être la vision à appliquer dans le domaine de l’informatique ? Un peu de tout ça à la fois.

  1. La veille techno est nécessaire. Elle est personnelle.
    Les bons informaticiens mènent une veille active, ils expérimentent sans arrêt.
    Et il faut se prévoir des moments pour partager la veille des uns et des autres.
  2. Pour alimenter la motivation, il faut faire de la R&D.
    Pas forcément beaucoup. Pas forcément tout le temps.
    Sur des sujets éventuellement utiles pour l’entreprise, tout en s’autorisant quelques digressions.
  3. Quand on développe « pour de vrai », on utilise des techniques qui ont fait leurs preuves. On fait dans le rustique, s’il le faut.

Quelques précisions qui sont peut-être utiles :

  • Ce n’est pas parce que Google offre à ses employés 20% de « temps libre » pour travailler sur les projets qu’ils veulent que toutes les entreprises peuvent se le permettre. [1]
  • Un informaticien qui surfe sur Facebook et le Journal du Geek, c’est comme un footballeur qui lit l’Équipe. Ce n’est pas de la veille techno…

[1] : À ce sujet, je rappelle quand même une interview d’Eric Schmidt par le magazine Wired.

Wired :How do people actually do 20 percent time? How do people actually figure out a way to actually get 20 percent of their time for that without working on weekends?

Schmidt : They work on weekends.

3 commentaires pour “Si les informaticiens étaient des sportifs ou des musiciens

  1. L’important n’est pas tant la quantité que la qualité de l’exercice, en effet, faire de la veille (et une veille active !) c’est important, mais ça n’est pas tout.

    D’où l’importance des « pets projects » ou des « deliberate practices » (coding dojo, code retreat, etc.) qui mettent l’emphase sur un aspect technique sans les entraves du quotidien (pressions, deadlines, code existant, etc.)

    Une autre analogie (sportive) mais qui me semble pertinente: on ne peut pas être en permanence à 100%, en revanche, on peut s’exercer intelligemment pour augmenter son maximum pour que sa performance moyenne de 60% d’aujourd’hui soit l’équivalent des 100% d’hier.

    > il finit par être rouillé, son imagination s’assèche, sa capacité à répondre de manière originale aux problèmes rencontrés s’amenuise ; il n’est plus capable que d’appliquer les recettes qu’il a déjà employées auparavant.

    Si seulement, c’était à bon escient, ça serait un moindre mal … Le problème c’est que les recettes ne sont plus pertinentes aujourd’hui: les paramètres, les outils, les bonnes pratiques évoluent en parallèle.
    Le secret pour durer et garder du plaisir dans notre profession, c’est de savoir se remettre en question, se challenger en permanence, tout en gardant un oeil critique (tout ce qui est nouveau, n’est pas forcément mieux).

    Parce que le vieux développeur encrouté dans ses habitudes, ça ne vaut guère mieux que le junior qui copie/code au final.

  2. Il existe bien d’autres sports où le ratio est très différent : les cyclistes qui « bossent » au moins 3 x 3 semaines d’affilé (Giro / Tour / Vuelta) sans compter les autres courses de l’année et qui ne « s’entraînent » que pendant l’hiver. Les tennismen aussi ont un rythme original avec assez peu d’entraînement, beaucoup de matchs et d’échauffements, et surtour beaucoup de voyages. Pareil pour les joueurs de NBA qui jouent tous les 3 jours en saison régulière.

    Reste que la notion d’entraînement et de jeu pour les informaticiens existent quand même : on parle de Coding Dojo (http://fr.wikipedia.org/wiki/Coding_Dojo), concept popularisé par des français du monde de l’Agilité.

  3. Merci pour vos deux commentaires très intéressants. 🙂

    @hguemar : Ton analogie sur le 60% correspondant aux 100% me paraît très bonne.

    @perrick : Je vois les coding dojo comme l’une des nombreuses formes que peut prendre la R&D au sein d’une entreprise. Son intérêt est que les participants sont dans un mode très actif, ce qui peut bien s’alterner avec des mini-confs (par exemple) où chacun présente une techno que les autres ne connaissent pas.

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